– Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Ivan.
– Un trapèze, répondit Stan.
– Te fiche pas de moi, j’ai déjà vu des trapézistes, ils étaient pas sur ça.
– Mais t’es pas possible… c’est un muscle, qui s’appelle un trapèze.
– Ah… Et où est le reste du gars ? ajouta-t-le premier des deux, l’air confus.

Stan remit les mains dans les poches de son imper. C’est que ça caillait, dans ce coin reculé. Il jeta un œil circulaire sur le champ couvert de neige. Non, définitivement, aucune trace d’un mec à qui il manquerait un trapèze. Pas plus que de sang ou de pas. Le morceau de barbaque semblait être arrivé comme par magie.

L’abruti aux cheveux en brosse qui lui servait de partenaire se redressa. Il avait l’air soucieux :

– Tu crois que c’est parce que c’est mystérieux qu’on nous a mis sur le coup ?
– Très certainement, Ivan, répondit Stan d’un ton las. C’est un peu notre job, tu sais…

Les deux hommes rebroussèrent chemin jusqu’à la clôture, vingt mètres plus loin. Ils sautèrent par-dessus en prenant garde de ne pas glisser sur les planches de bois givrées. La vieille Ford Escort qui leur servait à se déplacer le long des ley lines était garée non loin, mais ils faillirent tomber plusieurs fois à la renverse sur de petites plaques de verglas. Leur haleine se matérialisait sous leurs yeux comme ces fantômes qu’ils avaient repoussés quelques jours auparavant. Ivan, en tout cas, se les remémorait avec un sentiment vivace. Il n’était de la partie que depuis trois mois… et avait du mal à s’y faire. Pour Stan, c’était une erreur de casting : son camarade avait joué de malchance en découvrant les coulisses du monde, et on n’aurait jamais dû l’embarquer là-dedans. Mais c’était trop tard, et de toute façon, la décision ne lui revenait pas.

En arrivant à hauteur du véhicule, Ivan interpella son équipier :

– Hey, regarde ça !!

L’ancien flic contourna l’Escort et regarda dans la direction que pointait Ivan. Il aperçut des traces de pas, qui allaient à la clôture, y piétinaient quelque peu, et en repartaient. Elles étaient étonnamment fraîches, compte-tenu de la neige qui était tombée dans la nuit. De plus, le duo était arrivé tôt dans ce bout de campagne et n’avait croisé âme qui vive. Stan s’approcha en veillant à ne pas les écraser.

– On dirait que quelqu’un est venu jusque-là… (il regarda en direction du steak congelé qu’ils avaient observé quelques minutes auparavant) et a balancé le muscle dans le champ.
– Mais qui ferait un truc pareil ? Ça n’a aucun sens, rétorqua Ivan en se grattant la joue.

Stan se tapa le front du plat de la main, les yeux écarquillés.

– Mais c’est bien sûr ! Suis-moi !
– Hein ? Mais attends, tu veux dire…
– Oui, je sais ce que c’est : un rituel pour attirer les faveurs du destin afin d’éviter une nouvelle blessure.
– Ah… et la voiture ? On va pas marcher dans ce froid !
– On s’en balance, du froid !

Ils se mirent en route pour retrouver l’occultiste du dimanche.