Les deux équipiers remontaient les traces de pas dans la neige. Ils finirent par atteindre, au bout d’une vingtaine de minutes de marche prudente, une bicoque en bois perdue dans la forêt. Le soleil aveuglant ne réchauffait pas bien les deux hommes, trop peu vêtus (et trop vieux, songea Stan) pour ces conneries.

La maison de trappeur semblait inoccupée. Les volets étaient bien ouverts, mais aucune fumée ne s’échappait de la cheminée. Par cette température, c’était louche. Stan sortit son arme de poing. Il préférait ne pas tenter le Chaos — il laissait ça aux entropomanciens, cette bande de tarés… quoiqu’en y réfléchissant bien, tout ce petit monde occulte était timbré. Il se concentra sur la baraque et fit signe à Ivan de la contourner.

Il monta lentement les marches en bois verglacées en tendant l’oreille. Rien. Seulement le tac-tac d’un pivert au loin. Il s’avança quelque peu et jeta un coup d’œil discret par une des fenêtres. L’intérieur était à l’avenant : du mobilier en bois, un lustre classique, une tête de chevreuil accrochée au mur… Derrière les rideaux écartés, Stan distingua cependant quelque chose de déplacé dans ce décor pittoresque : un corps d’homme nu jeté dans un coin, en sang, et le corps d’un autre homme, nu aussi, affalé derrière la porte… tout bleu…

L’ancien flic siffla entre ses dents pour rameuter son abruti de compagnon, qu’il imaginait en train de tourner sur lui-même pour s’assurer qu’aucun ours ne le surprendrait. Puis il s’approcha de la porte et tourna lentement la poignée. Déverrouillée. Bien. L’imbécile macchabée lui avait facilité la tâche. Il ouvrit doucement la porte, aux aguets. Rien. Il entra.

Il contempla le spectacle. La pièce unique servait à la fois de chambre, de cuisine, de salon et de salle d’eau. Il inspecta en premier le corps bleui, face contre terre : mort de froid, le visage ensanglanté. Mais pas son sang, on ne distinguait aucune blessure. Visiblement, c’était l’homme dont ils avaient suivi les pas. Faut-il être con, se dit Stan. Puis il se dirigea vers l’autre cadavre. Comme il s’y attendait, il lui manquait un muscle. Ivan le rejoignit enfin :

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? lança-t-il à Stan en se grattant la tête.
— Un abruti qui a voulu jouer au magicien…

Il s’approcha de la table, sur laquelle se trouvait une feuille de papier. Il la tendit à Ivan, qui lut :

— Manger un kilo de cheddar… dans les 24h suivantes, séduire un homme à l’allure sportive… en plein acte sexuel, lui arracher un muscle (veiller à être asperger par son sang sur tout le visage)… transporter, nu, ce muscle en le tenant dans la bouche jusqu’au pâturage d’un taureau et le lancer le plus loin possible en récitant « donne-moi la force » à trois fois trois reprises… rentrer et composer le 333, puis taper la touche 3. Ainsi, vous serez protéger du mal. Mais…
— Un rituel de protection, je t’ai dit. Mais ce con a oublié un détail…
— Lequel ?
— Il doit se dérouler en été. Pas par -20°.

Ivan sourit.

— Ah, y a plus con que moi, tu vois !

Stan lui jeta un regard fatigué.