Il avait exploré les deux premiers niveaux de ce bunker / labo / réserve scientifique sans rencontrer le moindre incident. Visiblement, d’autres personnes étaient passées avant lui, mais avaient laissé certains objets pourtant utiles : des récipients hermétiques pour conserver sa nourriture à l’abri de la vermine, des substances chimiques utiles pour repousser les bestioles, et, chose impensable, un bidon d’eau. Il remplit ses différents récipients et sentit avec satisfaction son sac à dos alourdi de quelques — petits — kilos.
Il entamait la descente pour rejoindre le troisième niveau — combien y en avait-il ? Quels autres trésors allait-il trouver ? — quand il entendit gratter. Ou plutôt, quand il ressentit un grattement dans les murs. Il se figea. Impossible que des bestioles se trouvent dans les murs. Ils paraissaient bien trop solides. De l’autre côté, dans la terre ? Pourquoi pas, mais elles devaient être sacrément grosses pour qu’on ressente les grattements de ce côté-ci. Il n’imaginait pas que des murs à dix mètres de profondeur puissent être aussi fins.
Il balaya du regard et du faisceau de sa lampe les escaliers en haut et en bas. Rien. Il continua prudemment, prêt à prendre ses jambes à son cou. Il parvint dans le troisième couloir, identique aux deux premiers, avec toujours la cage d’escalier au bout. Il n’entendait plus les grattements, et mit cette sensation sur le compte du stress (afin de faire taire l’angoisse qu’il sentait monter) tout en veillant à rester sur ses gardes (au cas où il se tromperait).
Il s’approchait de la première porte quand il distingua un mouvement du coin de l’œil, près de la cage d’escalier opposée. Il fit aussitôt volte-face. À nouveau, ce grattement, plus présent. Il fit marche arrière en prenant soin de garder dans la lumière l’endroit d’où venait le bruit. Au moment où il posait le pied sur la première marche, il vit une ombre se mouvoir contre le sol, ramper dans sa direction. Il comprit vite : un tapis de vermine (des fourmis, des araignées ? Peu importait). Il se retourna pour remonter les marches en courant, la panique au fond de la gorge. Il était au milieu de l’escalier quand il trébucha. Il prit une fraction de seconde pour regarder derrière lui : le tapis se mouvait à une vitesse impressionnante, mais l’homme avait encore assez d’avance. Cependant, il aperçut aussi deux grandes antennes émerger de l’autre escalier, suivi par la tête d’une gigantesque fourmi. Visiblement, les soldats de la colonie avaient considérablement évolué. Celui-ci passait encore dans le couloir, mais il faisait bien la taille de l’intrus humain. Qui ne perdit pas de temps à se demander ce que pouvaient tailler de telles mandibules. L’insecte s’extirpa de la cage d’escalier et se mit à charger. L’homme reprit son ascension et s’extirpa lui aussi de sa cage d’escalier. Ses pas résonnaient à présent sur le béton du deuxième sous-sol. Il accéléra la cadence en entendant la créature grimper à sa suite, le cliquetis de ses pattes sur le métal, puis, trop vite, sur le béton. Elle gagnait du terrain. Le béton fuma quand un jet d’acide formique atterrit à côté des pieds du fugitif. Les rayons de lumière balayaient de gauche à droite les murs du couloir. Il se jeta dans les volées de marches qu’il avala quatre à quatre, la bestiole sur les talons. Le souffle court, il atteignit le dernier sous-sol. Il était tout proche du dernier escalier quand la fourmi géante tenta une nouvelle fois de l’atteindra avec son acide. Ce coup-ci, elle fit mouche et une douleur fulgurante foudroya l’homme, qui sentit sa jambe touchée. Il parvint à s’accrocher à la rambarde et se tira en avant au moment où les mandibules se refermaient sur son sac à dos. Il dut l’abandonner après s’être débattu un instant, de peur d’être emporté sur le tapis de fourmis qui arrivait, il en était sûr, derrière leur soldat. La douleur dans la jambe, la panique et la claustrophobie envoyèrent une nouvelle décharge d’adrénaline dans ses muscles et il se hissa tant à la force des jambes qu’à celle de ses bras. Il arrivait devant la porte du bunker lorsque les petites fourmis (les fourmis NORMALES ! songea-t-il) l’atteignirent et commencèrent à grimper sur lui. Heureusement, la porte ne lui fit pas défaut et pivota comme il l’espérait. Il se jeta dehors malgré les morsures, infimes mais nombreuses, et referma derrière lui. Un instant après, un choc sourd témoignait de la ténacité du soldat, qui avait dû se rendre compte de l’inutilité du sac à dos pour la colonie.
Il se débarrassa des insectes qui l’agressaient tant bien que mal, prenant un plaisir malsain, une cruelle vengeance, à en écraser autant que possible.
Puis il se souvint que les fourmis avaient peut-être un autre point de sortie pour leur colonie. Il jeta un œil à la ronde, se demandant quelle serait la route la plus sûre à prendre. Il pleurerait ses précieux outils plus tard.
Il descendit la colline. Décidément, le pire scénario possible s’était déroulé.
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